Retraite : les jours d’après… pour un monde d’après

Par Patrick LebrunSecrétaire national de la section des retraités

Sans plagier le titre du film de science fiction de Roland Emmerich, cet article, rédigé par la section des retraités de l’UNSA Services Judiciaires, s’interroge sur l’impact laissé, dans notre société, par l’épidémie du COVID-19. Aujourd’hui, nous nous inquiétons, plus que jamais, de notre avenir proche et un peu plus lointain. En clair, comment construire, à défaut de reconstruire, une société sachant protéger, à défaut de sauvegarder, tous les hommes et toutes les femmes.

A l’heure de la rédaction de cet article, aucun déconfinement total ou partiel n’a été engagé, puisque deux semaines nous séparent encore de la date officielle du 11 mai et que le Premier ministre vient tout juste de clore son intervention dans l’hémicycle.

Durant sept semaines, les français toutes générations confondues, sont restés enfermés à domicile, sous des statuts des plus divers, allant du congé de maladie au congé pour garde d’enfants, du télétravail au chômage partiel, de l’hospitalisation à la réanimation. Une seule obligation : le confinement. Cette période a été vécue avec le plus grand sérieux pour la majorité d’entre eux, mais également, hélas, avec un nombre encore trop important de «désobéissance» sanctionnée ou non. L’on se rappelle les lignes écrites il n’y a pas si longtemps par Albert Camus dans son très célèbre roman «la Peste» L’auteur presque devin écrivait :

« Beaucoup cependant espéraient toujours que l’épidémie allait s’arrêter et qu’ils seraient épargnés avec leur famille. En conséquence ils ne se sentaient encore obligés à rien. Les mesures n’étaient pas draconiennes et l’on semblait avoir beaucoup sacrifié au désir de ne pas inquiéter l’opinion publique.»

La classe politique, dans sa très grande majorité, a manifesté un certain recul voire une certaine réserve, eu égard aux diatribes d’antan et effets de manches aussi inutiles qu’inconvenants qu’elle nous avait trop longtemps imposés à l’occasion de ses échanges. Certes une minorité d’égarés se sont aventurés dans d’insipides polémiques, mais les grognards habituels surent raison garder manifester l’empathie nécessaire à la période traversée. De leur coté, les organisations caritatives adaptèrent leur présence et leurs services, auprès des citoyens qu’elles avaient en charge.

Les organisations syndicales ont su parfaitement tenir leurs rôles de contrôle et d’intervention auprès des autorités hiérarchiques, même si certaines difficultés sont survenues comme au ministère de la Justice, lorsqu’il s’est agi de s’assurer de la protection des fonctionnaires. Notre syndicat, et principalement ses dirigeants, n’ont pas chômé durant cette période de tension, qu’ils soient publiquement remerciés de l’efficacité qu’ils ont déployée, sans laquelle des abus n’auraient pu être évités dans les services judiciaires sous couvert du plan de continuation de l’activité.

L’UNSa Services Judiciaires s’est inquiétée également auprès de la section des retraités sur les conditions dans lesquelles les seniors vivaient cette période délicate. Les interventions syndicales ont été largement communiquées aux retraités, qui ont apprécié le billet spécifique que leur a adressé le secrétaire général et dont nous retranscrivons ci dessous un passage important.

«En ces temps de confinement, situation pour le moins exceptionnelle, c’est mon rôle de prendre contact avec les retraités de notre organisation et vous dire qu’il faut vous protéger et vous tenir éloigné des autres. La “distanciation sociale” est devenue la règle pour quelques semaines, mais c’est à ce prix que nous nous en sortirons tout en préservant les capacités des urgences médicales ! La crise sanitaire que nous connaissons est inédite. C’est un combat entre la peur et l’espoir qui bouscule nos repères et nos habitudes. C’est aussi un grand questionnement qui se présente à nous : quel est mon rôle et quelle est ma place dans ma famille, dans ma rue, dans mon pays pendant cette crise ? Le rôle de chacun·e est d’être responsable. De soi et des autres. Pendant cette période de confinement, chacun·e fait sa part, à sa hauteur, selon ses talents et ses compétences. Tous, nous nous retrouvons pour appliquer des consignes devenues vitales : limiter les contacts et les sorties, convertir les gestes barrières en réflexes. Chacun·e doit le dire haut et fort : vous pouvez compter sur moi ! » La section des retraités n’a eu fort heureusement connaissance d’aucun dommage direct ou collatéral qui aurait été susceptible de toucher un de ses membres ou un de leurs proches. Ils ont tous été invités à témoigner, s’ils le désiraient, de leurs conditions de vie durant cette période de crise et de l’atténuation de la consistance du lien social. Très peu ont répondu tout en reconnaissant subir une vie de confiné plus paisible en milieu rural que dans les grandes métropoles mais en soulignant, pour reprendre les termes d’une fidèle adhérente, « mal vivre une ambiance d’assignation à résidence ». Au titre des rares écrits reçus, il serait inconvenant de taire celui d’une syndiquée du sud ouest qui a fait remonter au siège un long témoignage dont la conclusion ne saurait laisser le lecteur indifférent : « Y’ en a marre du jeunisme ! Notre génération des baby boomers disait « nos vieux » mais on ne voulait ni leur mort, ni les exclure de la société…. Je me dresse contre nos dirigeants qui voudraient nous mettre en réclusion à perpétuité, même à la maison… D’ailleurs ça n’a pas de sens. Il y a des différences entre les gens d’une même classe d’âge. La plupart sont vaillants après 80 ans et quelques uns cassés bien avant… Je prie l’UNSa… poursuit-elle… de défendre notre liberté d’aller et venir à tout âge et au moins dans l’hexagone… je lui demande de défendre tous nos droits et avec le parlement de lutter contre les dérives que la situation actuelle a rendu possibles. Je viens de relire George Orwell. ça a brossé en 1950 un climat politique très menaçant. il est nécessaire de réagir. »

Au hasard de lectures dans des revues généralistes, il était loisible de relever des témoignages précis comme ceux ci extraits d’interviews de résidents d’une maison de retraite à Dijon, enregistrés par la chaîne de télévision France 3.

Un résident qualifié de taquin par le journaliste regrettait « les mesures de prévention qui lui «interdisent de s’embrasser. Alors que, quelle est la plus belle chose pour des gens en retraite comme nous que de pouvoir s’embrasser de temps en temps ? » Une dame avoue s’inquiéter un peu, pour ses enfants, car elle a «fait son temps» dit-elle.

« On prend toutes les précautions. Si on attrape le coronavirus, on l’attrape mais on aura fait ce qu’il faut ».

Ces résidents, âgés de plus de 70 ans, semblent considérer cet épisode comme une petite aventure. Ils espèrent, poursuit le journaliste, que cela restera un épiphénomène qui ne les attendra pas plus que l’épidémie de grippe saisonnière et qui ne touchera pas leurs enfants et petits-enfants. D’autres témoignages plus atypiques de « grands anciens » ayant connu l’occupation allemande des années quarante permettent de relativiser notre confinement moderne. (reportage réalisé par Le Huffpost)

Yves et Marinette se souviennent de ce temps où ils étaient confinés chez eux sous peine de se faire tirer dessus par les Allemands. lls racontent : Yves a 90 ans, sa femme Marinette, 87. Dans les Bouches-du-Rhône, ils ont chacun vécu la Seconde guerre mondiale et se souviennent de ce confinement qui était bien différent de celui que l’on connaît aujourd’hui. De 1942 à 1944, les habitants ne pouvaient sortir eux aussi qu’en cas d’urgence, pour aller voir le médecin ou chercher de la nourriture. À la grande différence que, s’ils ne respectaient pas les règles, ils ne s’exposaient pas à une contravention de la police mais risquaient de se faire arrêter par les soldats allemands, voire pire :

« Nous étions bien obligés de respecter le confinement ! À notre époque ce n’était pas un virus, mais les bombes qui pouvaient nous tomber dessus ».

Le couple est bien d’accord sur une chose : ils préfèrent le confinement qu’ils vivent en 2020. Ils racontent que ce qui leur fait peur dans « cette guerre sanitaire » que nous vivons, c’est uniquement la manière dont agissent les habitants.

Au delà de ces témoignages parfois bon enfant, nous savons tous pertinemment pour en avoir été témoins, qu’ont existé des situations dramatiques chez les seniors et qu’elles perdurent peut être toujours. On ne peut pas oublier d’un coup de baguette magique, les conditions catastrophiques dans lesquelles les personnels soignants ont du intervenir dans les établissements hospitaliers faute de moyens, en raison de la politique publique désastreuse menée en amont. L’on ne peut oublier les choix dramatiques qu’ont parfois été contraints d’effectuer les médecins entres leurs patients, là encore faute de moyens. L’on ne peut également oublier les situations d’isolement vécues par les plus anciens dans les EHPAD. Enfin on ne peut pas oublier ceux qui n’ont pas survécu parce qu’ils étaient seuls à leur domicile en l’absence d’une législation sur le grand âge qui puisse leur porter utilement assistance voire secours.

Alors, peut on permettre aux pouvoirs publics de se dédouaner de toute responsabilité au regard des effets catastrophiques générés par cette crise sanitaire ?

«L’heure est à l’action et ce dans l’unité, ce n’est pas le temps des règlements de compte »

affichait-on dans les rangs du pouvoir. Certes, mais l’heure du bilan viendra, et là, il faudra bien que les comptes soient rendus à défaut d’être réglés, si l’on souhaite éviter la réitération d’une telle crise sanitaire. « La seule façon de mettre les gens ensemble, c’est encore de leur envoyer la peste.» écrivait Albert Camus dans son célèbre roman. Les propositions effectuées par Laurent Escure, Secrétaire général de L’UNSA dans un article intitulé « après la crise un monde à repenser » s’inscrivent, assurément, dans cette nécessité de mettre les gens ensemble, pour construire « le monde d’après ».

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